Le Kendo et la bande dessinée

Voici un article sur un sujet peu abordé. La bande dessinée fait partie de notre vie, aussi bien en Occident qu'en Asie, mais curieusement, en Occident,, le kendo n'y apparaît que très rarement . Si vous possédez d'autres sources que celles citées ci après, n'hésitez pas à nous les faire connaître pour étoffer ce dossier.

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Je ne donnerai pas dans ces pages une histoire exhaustive du kendo, tel qu'il apparaît dans la bande dessinée occidentale. Rien que quelques commentaires destinés à servir de fil conducteur d'une image à l'autre. Je serais d'ailleurs heureux de recevoir des compléments d'information de la part des lectrices et lecteurs, afin de compléter et enrichir ce point négligé de la connaissance de l'escrime japonaise en Occident.



image Le kendo, faisant partie de l'univers culturel japonais, est couramment représenté dans les mangas. Il sert à illustrer les rivalités et conflits des adolescents dans les magazines de bandes dessinées qui leur sont destinés. Les dessinateurs traduisent la violence de la pratique et soulignent des aspects qu'un non-pratiquant ne peut apprécier à sa mesure, comme ce coup de shinaï derrière la tête qui figure dans un épisode paru dans la revue Afternoon , en septembre 1996.



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Les Japonais font aussi preuve d'une liberté plus grande que les Occidentaux, dans leur approche du kendo. Alors que ces derniers ont souvent une attitude révérencieuse qui les empêche d'avoir de l'humour, les illustrateurs japonais mettent le kendo dans des situations incongrues qui lui donnent du caractère. Dans le jeu du petit diable, en 1986, Hijori Rei utilise ainsi de manière très érotique l'équipement des combattantes d'une université nippone.

En Europe, la réception du kendo dans la BD fut bien entendu plus aléatoire. Elle a coïncidé avec le développement de la discipline elle-même et avec la connaissance que les auteurs pouvaient en avoir.


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On n'est sans doute pas surpris de trouver chez un dessinateur britannique une des premières représentations du kendo, puisque cet art martial fut introduit Outre-Manche bien avant de l'être en France. Apparition timide toutefois puisque la présence du kendo est d'abord suggérée par les armures qui décorent la salle d'entraînement de Modesty Blaise. C'est en effet dans Mister Sun qui parait de janvier à décembre 1964 dans la presse britannique, puis en album, que Jim Holdaway révèle ce lieu et l'agrémente du commentaire suivant de Modesty à Willie Garvin, le compagnon fidèle de l'héroïne : "Révolvers, anciens et modernes, sabres japonais, masques, et même une fronde Willie". Le lecteur est ainsi conduit à prendre conscience de cet équipement exotique que représentent pour lui men, tare et do.

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La bande dessinée paraîtra en France chez Hachette, en 1975, avec pour titre Echec à Monsieur Sun. Le décolleté plongeant de Modesty qui ornait la couverture a sans doute contribué à conduire quelques égarés vers les salles où s'exerçait alors la voie du sabre. C'est tout au moins ce que l'on peut espérer.

Le kendo est encore présent dans cette série, mais sous une forme qui peut paraître plus étonnante au pratiquant d'aujourd'hui. Dans The Warlords of Phoenix qui paraît en Grande-Bretagne de janvier à mai 1970, Modesty et Willie sont amenés à affronter ces "guerriers de Phoenix". Ceux-ci sont vêtus d'une armure assez bizarre qui ne correspond pas à celle utilisée en kendo de nos jours, mais à celle qui fut portée par les pratiquants de kendo, au Japon, durant la période qui suivit l'interdiction américaine de cette discipline martiale, au lendemain de la guerre (*). Il est probable que Jim Holdaway a vu ces combattants ou utilise une documentation qui les représente pour réaliser ses dessins. Loin d'être purement fantaisiste, l'équipement ainsi montré correspond bien à une réalité du kendo, même si cette dernière fut transitoire et rapidement remplacée par celle que nous connaissons maintenant.


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La bande dessinée va accorder de plus en plus d'intérêt au Japon et aux samouraïs, au fur et à mesure que les années passèrent. Elle évolue et ne s'adresse plus à un public exclusivement enfantin. Son contenu change également. Le milieu des arts martiaux exprime dès 1970 de l'intérêt pour cet art. La revue Budo qu'édite Plée, procure à ses lecteurs ce qui est sans doute les premiers mangas traduits en France : de sombres et sanglantes histoires de samouraïs arrivent ainsi à la connaissance du public. Atoss Takemoto attend quand à lui, 1980 pour lancer sa revue de BD japonaises, Le Cri qui tue,ainsi que quelques albums comme celui d'Ishimori : Le vent du nord est comme le hennissement d'un cheval noir, en 1979. Mais l'heure n'est pas venue et le magazine cesse de paraître au bout de six numéros. Il faudrait aussi évoquer le cas d'Ugaki signé par Jijé pour caractériser cette période, ou le Japon tente péniblement de percer dans la BD française. Le kendo n'y est pas présent.

image Ou plutôt il l'est dans des revues et albums produits par des pratiquants et destinés à ceux-ci. Le plus connu est alors Pierre Delorme qui enseigne le kendo et la bande dessinée à Paris. Il publie des albums qu'il diffuse dans le milieu des pratiquants et dans lesquels il témoigne du soucis de faire connaître cette discipline à un public plus large. Des préfaces, des photographies et des pages didactiques sur l'équipement et l'esprit du kendo figurent dans Le Sabre maudit et La Vengeance des oiseaux qu'il fait paraître au début des années 80.

Claude Deous, un pratiquant du club de Limoges, publie également en 1986 chez un éditeur de cette ville, un album intitulé Ombres chinoises,(*) dans lequel le kendo voisine avec le iai dans une histoire mêlant yakuzas, ninjas et autres personnages de ce type d'aventures.


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A la même époque, Kenichi Yoshimura, directeur technique national du kendo français, donne à la revue Voix du kendo les mythiques histoires de Costaud Pépé.

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Le numéro 21 de cette revue, en 1988, offrira les premières img des Aventures de Robert le Samouraï réalisées par un dessinateur de renom, qui a commencé de pratiquer le kendo quelques années auparavant : F. Boucq.


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Le kendo fait toutefois de timides apparitions dans la bande dessinée moins confidentielle. Roger Leloup qui a créé le personnage de Yoko Tsuno, une jeune japonaise qui connaît des aventures à la frontière du réel, en donne quelques img dans son neuvième album : La Fille du Vent, en 1979. L'héroïne s'est rendue au Japon et se sert de l'armure pour cacher son identité et tromper ses ennemis.

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Leloup utilisera de nouveau l'équipement de kendo en 1993, dans L'Or du Rhin, son dix-neuvième album. Yoko Tsuno y affronte de nouveau Kazuky, l'industriel aux méthodes hasardeuses et aux projets diaboliques qu'elle avait connu dans La Fille du Vent, et celui-ci a cette fois à sa disposition un robot dont le costume évoque l'armure de kendo. Le caractère exotique de celle-ci a sans doute été privilégié par l'auteur, ainsi que sa bizarrerie pour un lecteur occidental - exotisme et bizarrerie qui s'associent assez bien avec le type d'aventures vécues par la jeune Japonaise.


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S. Facelina, rendant compte du volume dans le numéro 11 de Voix du kendo titre avec enthousiasme son article : "Corto fait du kendo". C'est aller un peu vite, car Tong, l'ami chez lequel Corto pratique, est présenté non pas comme maître de kendo, mais comme "maître de kung-fu". Cette désignation reflète bien l'ignorance dans laquelle le public français demeure encore en 1983 à l'égard de l'escrime japonaise. Elle est une discipline confidentielle, exotique et fantastique, que le dessinateur peut utiliser pour son aspect scénique, mais qui reste décorative plus qu'autre chose dans la bande dessinées japonaises. Parmi celle-ci, peu évoque le kendo. On a pu voir un personnage de Pokemon portant un shinaï, et divers albums consacrés aux samouraïs (Le Vagabond de Takehiko Inoue conte par exemple la vie de Miyamoto Musashi que tous les pratiquants de kendo connaissent). Le manga dans lequel le kendo apparait le plus est Kenshin le vagabond de Nobuhiro Watsuki.

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L'histoire est celle d'un escrimeur remarquable de l'époque qui précède l'ère Meiji. Elle met en scène notamment le Shinsengumi, ce corps d'élite du Shogun réunissant les plus grands sabreurs d'alors, dont Nagisa Oshima a utilisé la légende pour son film Tabou. Kenshin montre dans quelques albums (le 7 par exemple) des dojos de kendo et Yahiko Myôjin, le jeune compagnon du héro, portant constamment un shinaï et se perfectionnant dans la pratique.

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A ma connaissance, le kendo n'apparaît que dans un autre album, et de manière tout aussi fugitive et secondaire, dans les années qui vont suivre. Marcelino Truong et Francis Leroi offrent ainsi une scène de kendo, en 1991, dans Le Dragon de Bambou, un album qui évoque le séjour indochinois d'André et de Clara Malraux dans les années trente.


Il est à souhaiter que d'autres mangas nous arrivent qui mettent en scène notre discipline. Pour le moment, il faut bien admettre que le kendo n'obsède ni les auteurs ni les lecteurs français de bande dessinées.